02. Le conte du Bonhomme Hiver


Auteur : Muriel Jorry.
Conte protégé. 
Diffusion et reproduction interdites. 
Illustrations générées par IA.

Ce conte est médaillé d’or au concours littéraire international 2015 des Ateliers d’arts de Servon sur Vilaine dans la section « contes et fables ». 
257 participants au total dont 21 dans la section « contes et fables ».




Chapitre un : Une prison dorée

- Maman, maman, regardez ce que nous avons reçu au courrier du matin !

– Clémence, cessez de hurler de la sorte. Une jeune fille de bonne famille ne pousse pas de tels cris !

– Je vous prie de m’excuser, maman, mais je suis tellement heureuse ! Nous avons reçu le programme du carnaval. Il aura lieu mardi prochain et on annonce la cavalcade du mardi gras, suivi du défilé des chars de bienfaisance. Il y aura aussi un grand repas de fête et l’on brûlera Monsieur carnaval. Maman, puis-je y participer ? Oh ! dites-moi oui, dites-moi oui ! Je pourrais réciter des poèmes sur l’un des chars avec quelques-unes de nos voisines. Cela rapporterait un peu d’argent pour les indigents. Oh! maman, dites oui, s’il vous plaît !

– Il n’en est pas question ! Je déteste ce genre de manifestation. Petite, comme votre papa, je n’étais pas bien riche. Désormais, je souhaite que nous gardions notre rang dans la haute société.

Mme Nikolaz reprit son souffle et continua :

– Non, croyez-moi, ma chère enfant, cette fête des fous n’est pas pour nous. Je vous interdis d’y participer. Pensez que pendant quelques jours l’ordre des choses y est inversé, ce qui est absolument indécent. Maintenant retournez à vos leçons et plus un mot sur ce sujet. Le débat est clos, m’avez-vous bien comprise ?

Sans mot dire, la jeune fille reprit le chemin de sa chambre où sa sévère préceptrice l’attendait pour une leçon de géographie. Le cours fut bien plus long et difficile que d’habitude. Le cœur serré, Clémence ne pensait qu’à cette si merveilleuse fête qu’elle allait manquer. Elle se souvenait des enfants aperçus l’an passé. Ils étaient tous déguisés et avaient l’air si heureux. Il lui semblait que c’était un moment hors du temps où tout était permis, même les envies les plus folles. Mais, comme toujours, papa et maman refusaient catégoriquement que la famille prenne part aux festivités.

Ce soir-là, le dîner fut bien triste et comme d’habitude il fallut garder un pieux silence qui fut encore plus pesant que d’ordinaire.

Clémence se réveilla très tôt le lendemain. Dans cette aube grise et froide, elle ne ressentait que du chagrin. Les murs de sa chambre lui paraissaient austères et sinistres au point que des larmes se mirent à couler sur ses joues roses. Certes, elle ne manquait de rien car sa famille était fort riche depuis plusieurs années, mais alors d’où venait cette impression de tristesse infinie et de solitude ?

L’heure tourna et elle fut brutalement tirée de sa rêverie par Jeannette, la femme de chambre. Jeannette était douce et gentille.

Clémence avait toujours eu pour elle une grande tendresse.

– Mademoiselle, il est temps de vous vêtir. Vous n’avez pas oublié que nous sommes lundi et que votre grand-mère vient déjeuner ce midi ?

– Oh! mon Dieu, si, j’avais oublié.

Elle poussa un soupir puis demanda à Jeannette de l’aider à choisir une tenue.

– Si j’étais vous, Mademoiselle, je mettrais la robe de soie bleue, elle vous va si bien !

– Mais, je ne la porte que dans les grandes occasions !


– Oui, je sais, mais il y a un invité de plus aujourd’hui.

– Ah ! Qui cela ? questionna-t-elle.

– Ce matin, j’ai entendu votre papa dire que votre grand-père était revenu des chemins de fer.

La jeune fille sauta au cou de Jeannette.

– Grand-père sera là, mais c’est merveilleux ! Je ne l’ai pas vu depuis si longtemps !

– Plus de cinq ans, répondit Jeannette. Il faut le comprendre, son travail est très prenant.

– Je sais, mais il m’a tellement manqué, même s’il m’a écrit chaque semaine pendant toutes ces années… Alors, c’est décidé, je mets ma robe de soie.

Clémence avait toujours entendu papa raconter que grand-père Nikolaz était l’un de ceux qui croyaient à l’essor des chemins de fer français. S’il était issu d’un milieu ouvrier, il avait réussi à force de volonté et de travail à gravir les échelons jusqu’à devenir ingénieur. Puis, après avoir investi ses maigres salaires dans le développement des voies et des trains, il avait rapidement fait fortune.

Lorsque midi sonna, Clémence ne tenait plus. La joie la submergeait car elle savait que son grand-père, si ponctuel, allait bientôt apparaître dans l’embrasure de la porte. Lorsque le battant s’ouvrit, elle ne vit que le visage de grand-mère, vieille dame sévère mais au cœur tendre !

– Où est Papy ? demanda-t-elle brusquement.

– Eh bien ! tu pourrais d’abord me saluer, lui dit grand-mère, blessée de cet accueil si peu enjoué.

Clémence s’exécuta sans entrain. La gorge serrée, elle redemanda d’une petite voix : « Mais où est papy ? ».

– Il ne viendra pas, lui répondit son père depuis le salon voisin. Il a finalement été retenu.

Pour la jeune fille, la déception fut immense mais elle refoula ses larmes et se montra forte. La gorge serrée, elle ne put avaler qu’un maigre repas puis remonta à sa chambre pour y épancher son chagrin.

La nuit passa mais elle ne trouva pas le sommeil. Sa vie lui paraissait si morne et triste… L’argent, il y en avait ici, et à foison, mais cela la rendait-elle heureuse ?

– J’ai eu la chance d’être élevée dans une famille aisée, se dit-elle, on m’a donné une excellente éducation et j’ai connu les grandes réceptions, les dîners, les bals… Il y a bien des gens qui auraient souhaité avoir cette vie. Malgré tout, je n’ai qu’une envie : sortir d’ici. Je me sens prisonnière…

Une idée germa dans sa petite tête :

- Pourquoi n’irais-je pas retrouver grand-père ? Je devrais profiter de cette veille de carnaval pour m’échapper…

Chapitre 2 : La prisonnière s’échappe

Dans la nuit qui précédait le mardi 2 mars de l’an 1880, le jeune Léo se promenait dans les rues de Paris à la recherche de quelque nourriture. Ce jeune garçon d’à peine quinze ans aux beaux cheveux blonds bouclés et aux yeux vert sombre n’avait pas eu la chance de connaître un foyer stable et la tendresse d’une famille. Il subsistait grâce à quelques menus travaux mal rémunérés et devait de temps à autre voler pour pouvoir manger à sa faim. Vêtu d’une vieille salopette de coton bleu et chaussé de godillots troués, il allait et venait dans la ville endormie. Sa casquette bien vissée sur la tête, il se déplaçait à vive allure avec l’agilité d’un renard chassant une proie. Tout à coup, il s’arrêta car il était certain d’avoir vu une ombre du coin de l’œil. Oui, là-bas, il y avait une frêle silhouette encapuchonnée.


– Hep ! Arrête-toi ! Où cours-tu comme ça ?

– Laissez-moi tranquille, je quitte la ville.

– Eh ! Mais c’est une voix de fille que j’entends là ! Que fais-tu dans la rue en pleine nuit ?

– Fichez-moi la paix !

– Non, non, non ! Viens par ici ! Et attrapant la silhouette par le bras pour l’entraîner à hauteur d’un lampadaire, il découvrit un joli visage de poupée caché sous la large capuche.

– Qui es-tu ma jolie ?

– Mais lâchez-moi, petite brute !

– Pas avant que tu m’aies donné ton nom.

– Je m’appelle Clémence.

– Moi, c’est Léo. Dis donc, tu n’as pas l’air d’être une pauvresse, vu tes vêtements…

Clémence, méfiante, réfléchit avant de répondre.

– Non, c’est exact ; je viens d’une famille très riche et je t’ordonne de me laisser partir immédiatement.

– Eh! mais tu n’as pas la loi ici, ma belle. Tu es sur mon terrain de jeu et c’est moi qui dicte les règles à présent. Si tu veux avoir un droit de passage, il va falloir payer.

– Payer ! Mais je n’ai pas d’argent…

– Alors, ça, c’est incroyable, une fille de riche qui se promène sans le sou !

Léo se mit à rire si fort que la jeune fille en fut vexée. Il reprit :

– Eh bien ! je ne sais pas où tu vas, mais crois-moi, de l’argent tu en auras besoin.

Clémence se retrouva désarmée et balbutia :

– Ce n’est pas possible. Je ne peux plus retourner chez moi car mes parents vont sans doute se mettre très vite à ma recherche.

– Comme ça, tu fuis ta maison… Tu étais battue ?

– Non, pas du tout !

– Pourquoi t’en aller ?

– Cela ne regarde que moi ! Pour l’instant, je veux juste aller retrouver mon grand-père dans le nord de la France.

– À ta place, je resterais chez les rupins… Mais bon, c’est toi qui décides. Comme je suis une bonne âme, je veux bien t’aider. Pour sortir de la ville, il va falloir attendre que le carnaval de demain soit terminé car des gendarmes sont postés à toutes les entrées.

– Pourquoi ferais-tu ça pour moi ? Tu ne me connais pas…

– Bah ! non, je sais, mais tu as une bonne tête. Et puis, si ta famille est riche, tu pourras peut-être me payer pour mon aide ! Et il se remit à rire. Allez ! Suis-moi, on va se mettre à couvert dans ma cachette en attendant de quitter les lieux.

Elle ne savait dire pourquoi mais Clémence avait confiance en ce garçon qu’elle ne connaissait que depuis un court instant. Elle accepta de le suivre et ils arrivèrent bientôt dans un abri bien piteux. Cet endroit, caché de tous, était accessible par un étroit boyau dont l’entrée se situait au pied d’une usine de teinture. L’odeur forte des produits chimiques n’était pas particulièrement agréable mais elle allait devoir la supporter quelques heures.

– C’est là que tu vis ? demanda Clémence.

– Eh oui ! Comme tu vois, je ne suis pas riche.

– Où sont tes parents ?

– Mes parents ? Je n’en ai pas ! J’ai été abandonné et confié aux sœurs de la Charité lorsque j’étais bébé. Il paraît que mes parents étaient des milliardaires, tu y crois toi ? Et Léo éclata de rire !

– Tu vis tout seul ? Tu vis de quoi ?

– Je vis comme je peux, ma belle. Je fais des petits boulots mal payés et puis un peu de rapine. Je te choque en disant ça ?

Oui, Clémence était choquée de voir qu’un si jeune garçon puisse être abandonné de la sorte et qu’en plus il dût subvenir malhonnêtement à ses besoins.

Léo lui indiqua un petit coin de la minuscule pièce où elle pourrait dormir un peu. Elle accepta non sans un certain dégoût car l’endroit était complètement insalubre. La fatigue aidant, elle s’endormit bientôt.

Chapitre 3 : Le carnaval des fous

Au matin, jour du grand Carnaval, les deux enfants sortirent de la cachette avec la plus grande discrétion. Ils allèrent de rue en rue pour voir s’il était possible de sortir de la ville, mais comme le redoutait Léo, toutes les issues étaient bloquées par la gendarmerie. Il fallait attendre la fin de la fête.

– Dis-moi, ma belle, nous devrions peut-être profiter de cette journée pour nous amuser un peu. As-tu déjà participé au carnaval des fous ?

– Non, mes parents ont toujours été opposés à cette fête qu’ils jugent subversive. Je t’avoue que l’idée d’y aller me plaît beaucoup mais je ne peux pas sortir dans cette tenue, on risquerait de me reconnaître. A cette heure, je suis sûre que toute ma famille est déjà à ma recherche…

– Tu as raison, alors on va emprunter des déguisements.

– À qui ?

– Viens, tu vas voir.

Léo prit la main de Clémence et la fit courir si vite qu’elle en était rouge d’essoufflement. Ils arrivèrent en plein cœur des préparatifs du grand défilé. Il y avait là des saltimbanques en pleine répétition d’une pièce apparemment fort drôle. Il y avait aussi des troubadours, un dresseur d’ours et des cracheurs de feu. La jeune fille n’en croyait pas ses yeux. Quel univers merveilleux ! Elle découvrait ici toute la magie qu’elle avait imaginée depuis sa prison dorée.

Léo la tira brutalement de ses pensées et la fit passer sous le rideau d’une tente.

– Vas-y, il n’y a personne. On devrait trouver notre bonheur.

Soigneusement rangés sur des porte-manteaux, il y avait là des dizaines de somptueux costumes colorés.

– Regarde ça ! Je suis sûr que ça m’ira très bien.

Léo tenait un habit de fou du roi avec un bonnet orné de trois grelots.

Clémence ne put retenir un fou rire.

– Oui, c’est parfait. Et moi, que vais-je mettre ?

– Celui-là ma chère. Je pense qu’il te siéra à merveille, dit Léo en prenant un ton bourgeois.

– Oh! Oui. Cette robe de colombine est fabuleuse !

– Allez, dépêchons-nous de nous parer pour les festivités !


Une fois habillés, rapidement maquillés et leurs perruques enfilées, ils se mêlèrent aux premiers arrivants.

Quelle merveille de voir les chars ornés de fleurs ! De jolies danseuses commencèrent à ouvrir la cavalcade sur différents airs de valse et de polka. Puis la foule, de plus en plus dense, vint se masser au point de départ de la cavalcade. Clémence dut à plusieurs reprises se cacher car elle avait cru reconnaître des gens de son voisinage. Les chars gigantesques se mirent soudainement en route sous les cris de liesse de la population. Les chevaux qui leur permettaient d’avancer étaient eux-mêmes parés pour la circonstance. Le cœur de Clémence débordait de joie. Comment ses parents avaient-ils pu lui interdire de tels moments de bonheur ?

Jusqu’au soir, très tard, les deux jeunes gens s’amusèrent sans se soucier du reste.

– Cette journée est une merveille, mon cher Léo. Je ne suis pas prête de l’oublier.

– Ça te change des réceptions mondaines ennuyeuses, n’est-ce pas ?

– Clémence acquiesça d’un simple hochement de tête accompagné d’un énorme soupir.

Tout à coup, une clameur s’éleva dans la nuit. Alors que l’heure de la mise à mort de Monsieur carnaval approchait, la fête fut soudainement arrêtée. Un gendarme était monté sur l’estrade principale et prenait la parole :

– Oyez, oyez ! Avis à la population : une jeune fille de bonne famille est recherchée depuis ce matin. Elle a disparu de son domicile dans la nuit. Elle a treize ans, a des cheveux châtain clair mi-longs et des yeux couleur noisette. Elle répond au prénom de Clémence. Vous êtes tenus de nous donner toute information dont vous auriez connaissance.

Les deux enfants se regardèrent. Il fallait immédiatement se cacher et le plus sûr était de retourner à la bien modeste habitation de Léo. Désormais, il fallait être très prudent et discret. Malgré le déguisement, une fille de cet âge était facilement repérable et susceptible d’être dénoncée et arrêtée.

– Surtout ne pas courir, c’est important, dit Léo. Car ça pourrait indiquer que l’on fuit quelque chose…

Le plus calmement possible, ils quittèrent la fête et retournèrent dans les rues désertes afin de se mettre à l’abri des regards. Mais ils n’avaient pas remarqué qu’une ombre immense et inquiétante les suivait…

Chapitre 4 : Deux drôles de rencontres

- Ouf ! Nous serons en sûreté dans quelques minutes, dit le jeune garçon.

– Oui, je dois avouer que j’ai pris peur, répondit Clémence.

– Peur de quoi ? lança une voix effrayante venant d’une ruelle sombre.

Les enfants se retournèrent épouvantés.

– Mais oui, peur de quoi ? répéta la voix. Peur des gendarmes ? Vous savez bien qu’ils ne sont pas méchants !

En revanche, il y a quelquefois des créatures dangereuses qui se cachent dans les ténèbres…

Léo rassembla tout son courage et répondit d’un ton mal assuré :

– Qui êtes-vous ? Et que nous voulez-vous ? Et puis, sortez de votre cachette, si vous l’osez !

– Tu es bien courageux de me parler ainsi, répondit la voix terrifiante. Je m’appelle Fouettard, poursuivit-il. Et je suis un envoyé… du diable, dit-il dans un rire tonitruant.

Un homme gigantesque à la barbe noire hirsute sortit alors de l’ombre. Son visage barbouillé de sale ne pouvait inspirer que la terreur. Il dévisageait les enfants de ses yeux noirs et profonds.


– Savez-vous que je suis envoyé sur terre pour punir les enfants désobéissants ?

– Mais, mais…. balbutia Clémence.

– Je sais que l’un d’entre vous est une petite canaille et que l’autre a transgressé les ordres qu’on lui avait donné. Je suis donc dans l’obligation de vous emmener pour vous punir…

Avant qu’ils aient pu réagir, une énorme main les empoigna. Étranglés par la peur, aucun son ne put sortir de leur gorge. Bientôt, ils se retrouvèrent enfermés dans une immense hotte sombre et ballottés comme de simples fétus de paille. Il leur sembla que le temps qui s’écoulait était infini. La peur avait maintenait fait place au désespoir. Ils avaient conscience de leurs tourments tout proches… lorsqu’une lumière vive traversa les interstices de la hotte d’osier qui les retenait prisonnier. Alors, une voix douce et grave leur parvint :

– Sortez, les enfants. Vous êtes libres.

Osant à peine bouger, Léo souleva doucement le couvercle. La clarté émanant de l’extérieur était orangée et chaude. Il prit le bras de son amie et l’aida à sortir. Debout devant eux, se tenait un homme joufflu à la barbe blanche comme neige et vêtu d’une grande tunique écrue et dorée. Il souriait.


– N’ayez pas peur de moi. Je suis venu vous aider. Je connais bien ce Fouettard et c’est un être abject qui a outrepassé ses droits en vous enlevant. N’ayez crainte, je vais le renvoyer dans sa tanière près de son maître.

Le bon barbu s’adressa alors à Fouettard dans une langue étrange et le fit disparaître aussi vite qu’il était apparu dans cette ruelle sombre.

Puis s’adressant aux enfants :

– Je m’appelle Monsieur Hiver. Vous me rencontrez pour la première fois, mais moi je vous connais depuis longtemps. Je sais que vous êtes de bons enfants car je peux lire dans vos cœurs. Je sais aussi que vous êtes malheureux.

Les jeunes gens se regardèrent et acquiescèrent ensemble d’un hochement de tête.

Mais qui pouvait bien être ce vieux bonhomme possédant de tels pouvoirs magiques ? Et comment avait-il su lire dans leurs pensées ?

Le vieux monsieur reprit :

– Que puis-je faire pour vous rendre plus heureux, mes chers enfants ?

Clémence prit timidement la parole :

– Je souhaiterais aller retrouver mon grand-père qui est quelque part dans le nord de la France. Il est le seul de ma famille à s’intéresser vraiment à moi. C’est un homme simple et gentil…

Léo hésita puis dit :

– Moi, je n’attends rien de personne. Je n’attends plus rien depuis longtemps…

– Alors, je ne peux absolument rien pour toi ? En es-tu bien certain ? Peut-être que si tu me fais confiance, je pourrais te convaincre que les hommes ne sont pas si mauvais…

Le jeune garçon se contenta de baisser les yeux.

Puis, s’adressant à Clémence :

– Je dois partir pour le nord, cette nuit. Souhaites-tu m’accompagner ?

– Euh ! oui, mais… peut-on partir avec mon ami Léo ?

– Bien entendu, il est le bienvenu, s’il le souhaite.

Léo, tout surpris de ne pas se sentir exclu, accepta la proposition. Discrètement, il dit à sa jeune amie :

– Je viens uniquement pour veiller sur toi. Une gosse de riche ne saura jamais se débrouiller seule…

Clémence se contenta de sourire.

Chapitre 5 : Un voyage fantastique

- Allons ! jeunes gens, ne perdons pas de temps, prenons la route du nord dès maintenant…

Ils suivirent Monsieur Hiver qui leur fit emprunter des chemins assez inhabituels. Ils parcoururent des ruelles très étroites pour finir sur les toits des maisons cossues de la ville. Quel drôle de bonhomme tout de même! Et ce visage… pourquoi paraissait-il si familier à Clémence ?

Arrivés sur le toit le plus haut de Paris, ils découvrirent avec stupeur une calèche dorée à laquelle étaient attelés… pas moins de six rennes !



Les enfants se regardèrent interloqués.

– Mais, comment comptez-vous faire descendre ces bestioles ? lui souffla Léo.

– Pas question de descendre, répondit Monsieur Hiver, nous allons monter. Allez, allez, en voiture et ne vous posez pas tant de questions !

En approchant de l’attelage, Clémence n’en crut pas ses yeux. Les six rennes avaient le pelage bleu, doré et rose aussi brillant que des cristaux de neige et des bois majestueux d'une teinte d'or. Elle ne put s’empêcher de les caresser et les trouva plus soyeux que toutes les riches étoffes qu’elle avait pu posséder. Et leur odeur rappelait celle de la cannelle. Elle respira très fort pour profiter de ce merveilleux parfum.

Une fois tous installés dans la calèche d’or, Monsieur Hiver tira sur les rênes et cria :

– Hop ! hop ! mes six jolis rennes féeriques, hissez-nous haut dans le ciel, hissez-nous au firmament, près de l’étoile la plus belle…Et l’attelage s’éleva dans les airs.

Incroyable ! En quelques instants ils se trouvèrent au milieu des nuages, le vent fouettant leurs visages. Subjugués par la splendide voûte céleste, les enfants ne virent même pas la ville rapetisser derrière eux…

Après avoir repris ses esprits, Clémence demanda :

– Comment trouverons-nous grand-père ?

– Ne sois pas pressée, tout vient en son temps ma chère enfant, lui répondit le vieil homme. Pour l’instant, je vous emmène dans ma maison où vous prendrez du repos et un bon repas chaud.

– Elle est loin, votre baraque ? demanda Léo.

– Au nord, mon petit ami, au pôle nord…

Et le voyage fut magique. Ils survolèrent campagnes, villes, rivières, mers et océans…pour enfin arriver au-dessus d’un paysage immaculé. Seuls quelques sapins d’un beau vert sombre venaient tacher la blancheur du sol.

– Nous sommes presque arrivés, dit Monsieur Hiver. La petite lumière, là-bas, au loin, c’est ma maison.

Chapitre 6 : Un petit village magique


Les rennes se posèrent tout en douceur au pied d’une charmante petite maison entourée d’une grange et d’un grand bâtiment de bois. Ce minuscule village était construit au beau milieu d’un paysage de glace s’étendant à perte de vue. Reflétant la pâle clarté lunaire et virevoltant doucement, quelques flocons de neige venaient se poser sur les branches de houx et de gui parsemés alentour.

– Entrez vite, les enfants, dit Monsieur Hiver. Il y a un bon feu de cheminée qui vous attend. Vous verrez que l'intérieur de la maison reste décoré pour Noël toute l'année. Je vais demander à Bélissende de vous préparer du bouillon de légumes et des chocolats chauds. Elle vous apportera aussi des pyjamas. Vous n'allez tout de même pas dormir avec costumes de carnaval ! 

Les enfants se regardèrent. Ils avaient totalement oublié qu'ils portaient encore leurs costumes.

– Mais qui est Bélissende ? demandèrent-ils.

– Bélissende, c’est moi ! Une voix fluette avait répondu, venant d’une petite personne pas plus haute que 3 pommes.


- Oh ! mais ne me regardez pas comme ça. Je ne suis pas très grande mais suffisamment tout de même pour savoir recevoir des hôtes. Et puis d'abord, si je ne suis pas bien haute, c'est parce que je suis un Korrigan de Bretagne. Et vous savez, ils sont petits les lutins de Bretagne.

Pour ne pas être vexants, les enfants retinrent leurs rires. Comme elle était amusante, cette petite bonne femme aux oreilles pointues ! Elle s’occupa à merveille de ses deux invités qui, après s’être restaurés, allèrent se coucher. Leur sommeil fut profond et leurs rêves peuplés de créatures fantastiques…

Au matin, Bélissende avait dressé une table de petit déjeuner spécialement pour eux. Alors qu’ils finissaient d’engloutir leur dernière bouchée, un doux bruit d’ailes résonna à leurs oreilles.

– Regarde Léo ! s’écria Clémence.

Une chouette venait de se poser sur le rebord de la fenêtre. Bélissende ouvrit les deux battants et l’animal vint se poser sur le linteau de la cheminée.

– Il a fait très froid cette nuit, j’ai bien mérité un peu de repos et de chaleur.

– Mais… balbutièrent les enfants… elle parle !

– Bien entendu que je parle, répondit Cassiodore, le harfang des neiges, étonné qu’on puisse lui poser une telle question.

– Ne soyez pas surpris, mes chers enfants, leur dit Monsieur Hiver qui venait d’entrer dans la cuisine. C’est une chouette enchantée. Chez moi, vous verrez que tout est magique.

– Dites-moi, Monsieur Hiver, puis-je vous poser une question ? demanda Léo.

– Bien sûr, répondit-il.

– Que faites-vous ici, perdu au fin fond du pôle nord ?

– Tu as raison, il faut que je vous donne quelques explications mais venez d’abord visiter l’ensemble du village.

Après avoir exploré la maison, ils allèrent jusqu’à la grange des rennes avant de se rendre au grand bâtiment de bois.

– Qu’y a-t-il là-dedans, demanda Léo ? C’est rudement grand !

– Eh bien, il y a là mon plus grand secret. Mais avant de vous faire entrer, il faut que vous me donniez votre parole de toujours garder le silence à ce sujet.

Intrigués, les jeunes gens promirent et Monsieur Hiver avait toute confiance en eux.

Les enfants restèrent bouche bée lorsque les deux lourdes portes s’ouvrirent. Un immense atelier de confection de gourmandises s’offrait à leurs yeux ébahis. Des centaines de petits korrigans travaillaient à la fabrication de confiseries, bonbons et chocolats.


Léo s’écria :

– C’est vous qui distribuez les sucreries de décembre, n’est-ce pas ?

– Oui, tu as deviné, je suis celui que l’on surnomme le Bonhomme Hiver. Chaque nuit de janvier à novembre, j’envoie ma chouette pour surveiller si les enfants sont sages et s’ils ont mérité un cadeau. Puis en décembre, je fais ma distribution.

– Mais pourquoi je n’ai jamais rien eu ? dit Léo d’un ton lourd de reproches.

– Tu te trompes mon petit ami. N’as-tu jamais reçu d’orange un matin de décembre ?

– Oh ! si, mais j’ai toujours cru que les sœurs de la Charité ne m’avaient pas totalement oublié.

– Non, elles ne t’ont pas oublié mais elles avaient bien d’autres soins à prodiguer aux miséreux. L’orange est toujours venue d’ici. Mais il n’y a pas que ça, mon jeune ami. Sais-tu qui te donnait l’espoir et le courage de vivre malgré les difficultés ? Oui, mon cher petit, j’ai toujours été derrière toi pour t’aider à te battre. Je t’ai soutenu à chaque instant de ta vie pour que tu ne baisses jamais les bras.

Puis, le Bonhomme Hiver les emmena dans une immense serre installée tout au fond de l’atelier. Il y avait là des orangers géants dont les branches ployaient sous le poids des fruits.


– Te concernant, ma chère Clémence, reprit le Bonhomme Hiver, je t’ai apporté de bons chocolats, chaque année, qui ont dû te régaler.

– Oui, c’est vrai, mais j’étais persuadée que c’était mes parents qui me les offraient.

– Les jouets, au pied du sapin, venaient de tes parents mais les chocolats… sont toujours venus d’ici, ma chère petite.

Alors l’orange et les chocolats prirent subitement un goût de magie aux yeux des deux enfants…

Chapitre 7 : Mais qui est-il vraiment ?

Les enfants étaient arrivés au pôle depuis plusieurs jours déjà, lorsque le Bonhomme Hiver dut s’absenter pour quelques heures.

– J’ai un message important à délivrer sur Paris. Je serai de retour dès ce soir. En attendant, Léo, je te confie le soin de t’occuper des rennes. Je sais que tu te débrouilleras très bien puisque tu m’as aidé chaque jour depuis ton arrivée.

Clémence, quant à elle, installée dans la cuisine pour aider Bélissende à préparer le repas, fut prise de remords.

– Bélissende, dit-elle, je n’aurais sans doute pas dû fuir de la maison de cette façon. Ma famille doit être inquiète maintenant.

– Oui, c’est évident lui répondit la lutine. Tu devrais peut-être repartir…

– Mais… et grand père… je voudrais tellement le revoir ! Le Bonhomme Hiver m’a promis de m’emmener auprès de lui.

– Il tiendra parole, sois-en sûre. A propos, tes parents ont-ils le téléphone ?

– Oui, répondit-elle, nous en possédons un.

– Eh bien ! voici le nôtre, appelle-les pour les rassurer.

Clémence hésita longtemps car elle redoutait leur courroux. D’ailleurs, leur manquait-elle vraiment?

Cassiodore, perché sur le bord de la fenêtre lui souffla :

– Appelle, qu’as-tu à craindre ? Tu les crois durs et sans cœur, mais c’est peut-être parce qu’ils voulaient le meilleur pour toi…. Je suis certain que ta famille t’aime…


Rassurée par les mots de la chouette, la jeune fille décrocha le combiné. Une opératrice lui répondit et transmit immédiatement l’appel à la famille Nikolaz.

– Allo ! Maman ?

– Oh ! ma chérie…

La conversation fut longue et chargée d’émotion…

– Un coup de fil plein de promesses, pensa Cassiodore.

Lorsque la jeune fille raccrocha, elle rayonnait de bonheur.

– Cassiodore, tu avais raison, ils m’aiment et m’ont promis de faire de gros efforts et de m’accorder plus de temps.

Tard le soir, lorsque le Bonhomme Hiver rentra, Clémence l’entraîna dans le salon près de la cheminée pour tout lui raconter.

– Tu vois, lui dit-il, j’étais certain qu’au fond tes parents avaient un cœur tendre. Ils ont connu la pauvreté étant enfants et ils ont voulu que tu sois comblée et gâtée. Ils avaient simplement un peu oublié que l’amour représente bien plus que les biens matériels.

Oui, il avait raison le vieux bonhomme. Il avait toujours raison et il savait toujours tout… Le regardant droit dans les yeux et décidée à obtenir des réponses à ses interrogations, Clémence lui lança :

– C’est incroyable, je leur ai raconté mon aventure et pas un instant ils n’ont douté de mes dires ! Vous ne trouvez pas que c’est curieux ? Et ils m’ont même autorisée à partir avec vous chez grand-père…

– Je le savais déjà, ma petite chérie, répondit le vieil homme. Et nul besoin d’aller bien loin pour le retrouver, ajouta-t-il, car c’est déjà fait depuis quelque temps… Clémence le regarda interloquée.

– Il y a bien longtemps que tu n’as pas vu ton grand père et il a pu changer, ne crois-tu pas ?

En riant, il continua :

– Il a pu grossir et attraper quelques poils blancs supplémentaires dans sa barbe. Et qui sait, il a pu changer de métier…

La jeune fille ne savait plus si elle devait rire ou pleurer. Alors, depuis le début de l’aventure, grand-père était là, tout près d’elle. Ce visage lui avait tout de suite été familier mais comment n’avait-elle pas reconnu sa voix, sa gestuelle…Elle sauta dans les bras du vieil homme et l’étreignit si fort qu’elle aurait pu l’étouffer d’amour.

Chapitre 8 : Je ne veux pas quitter le pôle

Le feu de bois crépitait dans la cheminée et une longue nuit allait commencer. Léo vint s’asseoir près de son amie et ils écoutèrent grand-père Hiver…

– J’ai travaillé de nombreuses années aux chemins de fer, commença-t-il. J’avais installé mes bureaux à la gare de Calais dans le nord de la France. Il y a un peu plus de cinq ans, alors que tu n’avais encore que huit ans, ma chère enfant, j’ai fait la connaissance d’un bien curieux monsieur. Il était assis sur un banc, au bord du quai. Il vint se présenter à moi :

– Bonsoir, je m’appelle Nicolas et j’attends la voiture pour le pôle nord.


J’ai d’abord cru avoir mal compris et je lui répondis qu’il devait se tromper et qu’il ne passait ici que des trains. Mais il insista et m’invita à m’asseoir à ses côtés.

– Mon cher, me dit-il, je dois me rendre une dernière fois là-bas pour faire mes adieux à mes amis et former mon remplaçant. La voiture ne saurait donc tarder à arriver. Avez-vous pris votre valise pour m’accompagner ?

– Mais, voyons ! que dites-vous, monsieur ? Je ne vais nulle part !

– Oh! si, vous venez, car vous prenez ma relève. Votre nom de famille est bien Nikolaz ?

– Oui, c’est bien moi, Jules Nikolaz.

– Alors pas d’erreur, vous partez avec moi car je vous ai choisi pour me remplacer. Je suis vieux et bien fatigué, il est temps que je cède la place. Vous serez désormais le Bonhomme Hiver, le bon vieillard qui distribue les friandises et qui est dévoué aux enfants.

– Mais, mais… balbutiai-je. Mais je n’eus pas le temps de me poser plus de questions car j’entendis au loin un tintement de grelots et je vis arriver du ciel un attelage féerique. Il me fallut quelques jours pour comprendre la tâche qu’on me confiait. Et en acceptant de devenir un personnage magique, j’ai dû renoncer à mon existence humaine ordinaire. C’est pour cela que je ne pouvais te voir, ma petite Clémence.

– Alors, même papa et maman ne savent rien de tout cela ?

– Non, ils ne savaient pas. Tout du moins jusqu’à aujourd’hui. Seule grand-mère était dans la confidence. Elle aurait pu m’accompagner au pôle mais elle n’a pas voulu vous quitter. Chaque semaine, je t’ai écrit, ma chère petite fille, car je ne voulais en aucun cas rompre le lien si fort qui nous unit depuis ta naissance.

– Je t’ai répondu chaque semaine, grand-père, lui dit-elle. Comment recevais-tu mes lettres ? Car je doute que le postier ait pu te les faire parvenir !

– Disons que je connais une chouette qui sait mener le courrier là où il faut… Sache que je pensais bien tout te dire un jour mais j’estimais que le temps n’était pas encore venu.

Clémence était abasourdie par toutes les révélations que grand-père venait de faire.

Après quelques jours, les enfants se préparaient à repartir. Ils eurent une longue discussion et Clémence demanda :

– Grand-père, nous voulions te parler d’une chose importante. Accepterais-tu que Léo reste près de toi ? Il pourrait t’aider dans tes tâches…

Le Bonhomme Hiver regarda Léo avec un grand sourire. En lui donnant une solide poignée de main, il lui dit :

– J’en serais très heureux, jeune homme. Tu pourras continuer à t’occuper de mes rennes.

Se sentant tout à coup utile, le jeune garçon hocha fièrement la tête pour acquiescer. Pour la première fois de sa vie, il se sentit aimé et eut l’impression d’avoir enfin trouvé un foyer.

– Quant à toi, ma chérie, reprit grand-père Hiver, maintenant que tu connais mon secret, j’aimerais te voir souvent. Je ne peux que très rarement me déplacer mais je connais un garçon qui pourra voler jusqu’à toi pour venir te chercher.

Bientôt Clémence fut de retour chez elle. Ses parents, très émus de la retrouver, la couvrirent de baisers. Elle eut l’autorisation d’aller voir grand-père une fois par semaine à condition de ne pas délaisser ses études. Lorsque la voiture dorée vint la chercher pour la première visite, la jeune fille avait les yeux remplis d’étoiles. Une autre personne se réjouissait à l’idée d’aller au pôle nord : c’était grand-mère, qui avait enfin accepté de rejoindre grand-père…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Contes pour la veillée de Noël

Je suis très heureuse de vous présenter des contes de Noël de ma plume a insi que trois contes d'Halloween. Les contes courts sont prése...